L'industrie comme vision du monde

Dans La religion industrielle (2017), Pierre Musso soutient que l’industrie est une vision du monde, un souffle intérieur.

Philosophe de formation, Pierre Musso, docteur en sciences politiques et professeur en sciences de l’information, s’est toujours intéressé aux imaginaires, à la modélisation et aux réseaux.

Comment appréciez-vous la notion d’industrie 4.0 ?

Pierre Musso: Parler de quatrième révolution industrielle, c’est considérer, de façon classique, que la première révolution industrielle commence en Europe vers 1800. C’est assez inexact, parce qu’il y avait déjà eu une première révolution industrielle avec l’hydraulique, le moulin à foulon, l’urbanisation et les grands traités technologiques au XIIIe siècle, mais il ne faut de toute façon pas réduire l’industrie à l’activité manufacturière. Étymologiquement, l’industrie, est formée en latin sur “in”, le souffle intérieur, la vision et le verbe “struere”, construire. C’est l’idée de projeter à l’extérieur ce qu’on a en soi. L’industrie, c’est une vision du monde. C’est l’alliance de la formalisation, de la modélisation, de la pensée et de l’action.

Comment cette alliance s’articule-t-elle avec l’idée contemporaine de renaissance de l’industrie ?

PM: Cette idée de renaissance de l’industrie, ou par l’industrie, me semble beaucoup plus intéressante, parce qu’elle prend en compte la totalité systémique, en pensant l’industrie dans la société. On voit bien la métaphore par rapport à la Renaissance et le passage à la modernité en Europe : rupture scientifique, technique, invention de la perspective, découverte de l’Amérique, apparition de la Réforme, facilitée par le développement de l’imprimerie et la diffusion de la Bible. Le succès de Gutenberg, c’est aussi celui d’un industriel, d’un chef d’entreprise. L’industrie aujourd’hui a une capacité à concevoir des produits et des services bien sûr, mais aussi de la pensée, de la création, des fictions, et c’est pour cela qu’elle devient le lieu principal de production d’imaginaire.

Chaque grande révolution industrielle a été accompagnée par une modification de la vision du monde, dans le champ philosophique, artistique, politique, scientifique ou religieux.

Corporate Report > 2018 > We will be there tomorrow > Industry as a way of seeing the world > Image > Dassault Systèmes
Pierre Musso
Docteur en sciences politiques et professeur en sciences de l’information

Qui sont les créateurs d’imaginaire aujourd’hui ?

PM: Les grands créateurs, ce sont toujours les artistes, les chercheurs et les industriels au sens large, c’est-à-dire les collectifs de compétences qui, à partir de leur génie intérieur, se projettent pour réaliser des œuvres. Les univers du logiciel, des programmes et des fictions audiovisuelles sont aujourd’hui moteurs parce qu’ils produisent des représentations, et génèrent des nouveaux mondes. Chaque grande révolution technique ou industrielle fut précédée ou accompagnée d’une modification de la vision du monde, dans le champ philosophique, artistique, politique, scientifique ou religieux.

Nous sommes dans une phase de grandes mutations, de bifurcation et de révolution, dont les principaux acteurs sont ceux qui arrivent à faire se rencontrer art, sciences, technique et industrie. Je pense que Dassault Systèmes est un de ces acteurs. Ce qui me frappe, c’est la place de la recherche comme mode de pensée et de management dans cette entreprise, c’est-à-dire sa capacité à formuler et reformuler les questions plutôt qu’à répondre immédiatement par des solutions. 

Quelles sont les évolutions du travail en lien avec cette renaissance industrielle ?

PM: Sortons de l’opposition des visions catastrophistes ou idylliques. Les études sur la robotisation et son impact sur l’emploi sont très contradictoires, et liées à nos représentations de la relation homme-machine. En réalité, il y aura un vrai bouleversement des compétences, des métiers, du travail, avec la suppression des tâches répétitives, souvent les moins qualifiées. Et donc des suppressions d’emplois. En revanche, il y aura aussi des créations dans de nouveaux métiers, de nouveaux services. La question des savoirs et savoir-faire et de leur transmission est donc centrale. Cette question est celle de la formation, initiale et continue. Un investissement massif et une réorientation de la formation sont nécessaires. J’aime l’idée de mettre l’école dans l’entreprise et l’entreprise dans l’école. L’interdisciplinarité, à la frontière de différents types de capacités, va se développer, et cette mêlée va constituer un enrichissement fantastique.

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